Interview de Pierre Yovanovitch

En ce début d’année 2021, nous avons posé quelques questions à un des plus grands talents de notre époque. Défenseur des savoir-faire français ouvert aux influences du monde, collectionneur d’art revendiquant la fonctionnalité des pièces de design, globe-trotteur élevant des poules dans sa maison bien-aimée, Pierre Yovanovitch nous invite à découvrir la richesse et la subtilité de son univers esthétique.

Pierre Yovanovitch - Interior Architecture

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La crise sanitaire, sociale, et certainement philosophique, que nous traversons actuellement a-t-elle donné à votre activité un sens particulier? Quel est le rôle du Beau dans ce contexte? 

La crise actuelle a des effets sur les modes de vie que je considère positifs (moins d’agitation, plus de temps pour la réflexion, attention accrue portée à la nature) et négatifs (isolement, plus de virtuel, moins de réel). Ces changements sont très rapides et très radicaux. Ils ont évidemment un impact sur mon activité.

Mon métier n’a pas pour vocation de changer le mode de vie des gens mais de créer un cadre dans lequel ce mode de vie est le plus naturel et agréable possible. Dans ce contexte, le rôle du beau serait de mettre les gens en harmonie avec leur vie. Il aurait donc quelque chose à voir avec le bonheur mais ne déterminerait pas ou peu qui nous sommes. En disant cela, je pense immédiatement à mille contre-exemples, je pense néanmoins que c’est une bonne façon d’appréhender mon travail.

Le design est-il une forme d’art pour vous? 

Le design et l’art sont interdépendants de différentes manières. J’aime l’art et c’est pourquoi je le place au cœur de ma pratique du design. Je travaille souvent avec des artistes afin de créer des œuvres in-situ qui deviennent des points majeurs de mes projets. Le design est différent bien sûr. Nous devons tenir compte des éléments pratiques qui font l’objet : le poids, le confort, la durabilité et la fonction. L’esthétique ne doit pas primer sur la fonction de l’objet.

Qui serait Pierre Yovanovitch aujourd’hui s’il n’était pas devenu architecte d’intérieur? 

Je serais devenu jardinier. Être dehors me permet de m’évader et de me perdre dans la nature. Je trouve cela très thérapeutique. En passant du temps dans la nature, on comprend vraiment le changement des saisons et l’effet du réchauffement climatique.

En quoi vos intérieurs sont-ils français?

J’ai une approche sur-mesure, voire haute couture pour tous mes projets. Je travaille avec des artisans d’art français, qui sont des experts de leur domaine, que ce soit l’ébénisterie, la céramique, le soufflage de verre ou encore le travail tapissier, afin de créer du mobilier sur-mesure et des décors qui conviennent à la vie quotidienne de mes clients. Le style français est fondé sur la richesse de notre culture et la diversité de nos savoir-faire. Il souffre parfois du poids de ce patrimoine, et par là le manque d’audace, mais souvent il le transcende. C’est ce que je recherche: m’appuyer sur ce monument en conservant une forme d’insouciance et de légèreté, elle aussi très française.

En même temps, c’est un engagement sans faille pour la qualité et l’attention au détail. Le style français est sur-mesure. Il consiste à faire en sorte que chaque élément de la pièce soit de la taille parfaite et d’une extrême qualité afin de réaliser le meilleur travail possible.

Enfin, il signifie aussi une ouverture d’esprit, il ne s’agit pas d’un chauvinisme. Dans mon cas, ce sont mes inspirations internationales (développées par la suite), mon goût pour les voyages (j’ai récemment visité Ljubljana et Glasgow)..

Vous avez créé une ligne de mobilier, quelle fonction a-t-elle?

Disons que c’est un désir. Cela a commencé par de petites interventions sur des projets, qui sont devenues nombreuses et ont naturellement conduit à la création de collections. Après environ 15 ans de création de mobilier sur-mesure pour mes projets d’architecture d’intérieur, j’ai dévoilé ma première collection, OOPS, à la galerie new-yorkaise R & Company en 2017. Je porte une attention particulière autant à la fonction et à la qualité qu’à l’esthétique de mes pièces. Nous travaillons avec des artisans d’exception qui détiennent un savoir-faire unique, mais il est également primordial que ces pièces durent dans le temps.

La collection OOPS de 2017 m’a ensuite poussé à créer deux ans plus tard une seconde collection, LOVE, à la même galerie à New York en 2019. Alors que nous continuons d’inclure du mobilier et des luminaires sur-mesure dans nos projets d’intérieur, le succès de ces deux collections ont fait évoluer l’agence. Maintenant l’architecture d’intérieur et le mobilier sont considérés de manière égale et sont devenus un tandem dans nos projets.

Où trouvez-vous l’inspiration et auprès de qui?

La nature est ma plus grande source d’inspiration. Parce que les plus beaux matériaux viennent de la nature. Un projet commence toujours par la qualité et la beauté de la matière première. Les matières naturelles ont tellement de textures, de profondeur et de caractère différents. C’est ce qui donne de la personnalité à un objet ou à un espace. La lumière est également très importante dans mes projets. C’est elle qui va déterminer l’atmosphère d’une pièce. C’est pourquoi j’utilise au maximum la lumière naturelle.

Je puise également mon inspiration dans différents mouvements de design, comme la Grâce Suédoise, un mouvement des années 20 relativement peu connu. Gunnar Asplund, que je considère comme l’un des meilleurs architectes suédois de la première moitié du 20e siècle, faisait partie de ce mouvement, tout comme Axel Einar Hjorth. Rigueur, équilibre, courbe, profondeur des matériaux sont les caractéristiques des pièces de mobilier provenant de cette époque. Souvent simplistes et d’une qualité brute et organique (pin) tout en étant à la fois extrêmement sophistiquées, elles étaient remarquables.

J’admire aussi les designers Nordiques des années 30 et 60, comme Frits Henningsen, Paavo Tynell, Flemming Lassen, ou les designers américains Paul Laszlo, Paul Frankl, Terence Harold Robsjohn-Gibbings, James Mont, Harvey Probber. Les designers américains du siècle dernier savaient comment contourner les conventions : l’acier, le liège, la céramique, le bois dont de nombreuses déclinaisons de ces matériaux étaient introuvables en Europe. La table basse en liège et chêne de Paul Frankl est fascinante! Mon attrait pour cette période du design américain correspond aux intérieurs que je crée. J’aime la force et l’authenticité qui se dégagent de ces designs avec une quasi perfection architecturale, une apparente simplicité, une personnalité, une élégance, une touche d’originalité sans ostentation ou encore une arrogance et une exactitude intemporelle.

Quel est le lieu où vous préférez vous trouver le plus au monde? 

Ma maison, car elle est mon sanctuaire. L’endroit où à la fois je me re-connecte avec mes racines et où je me sens inspiré. Un endroit où je peux interagir avec la nature, mes animaux – mes chiens, ânes, poules. C’est aussi un lieu où je peux m’exprimer de façon créative et où je peux travailler avec des artistes.

Que souhaitez-vous à l’humanité pour 2021?

Plus de joie et plus de sagesse.